Jornal de bord du Dr. Ayers

Dr. Talen Ayers

Journal de bord

L’atmosphère dans le labo est devenue poisseuse, et je pense que nous éprouvons tous davantage de difficulté à faire progresser nos recherches.

"Poisseuse ?", me demandez-vous.

(Et par « vous », je fais bien sûr allusion à mon propre auditoire subconscient tout autant qu’à l’officier du Dominion qui aura eu la bonne fortune d’être désigné pour éplucher ma correspondance personnelle. Cher ami, vous n’allez pas tarder à découvrir que j’ai tellement l’habitude d’écrire pour un public que partager de la sorte mes ressentis et mes réflexions brutes ne me pose aucun problème. J’espère que vous me pardonnerez si ce faisant je vous prive de l’attrait déductif que pourrait avoir votre métier.)

Oui, poisseuse. Poisseuse est le seul terme qui me vienne pour décrire le blocage émotionnel qui s’est créé entre les scientifiques séquestrés dans les entrailles de ce petit labo douillet. Et les sources de cette "poisse", les métaphoriques colonies muqueuses d’où sourdrait ce mucus sociologique, sont le Dr Held et Jake Ramsey. Que l’on puisse envisager de confiner un sadique xénophobe avec un sympathisant protoss illuminé est au-delà de mon entendement.

Dr Branamoor, au cas où vous liriez ceci, je me permets de vous poser directement la question : à quoi diable pensiez-vous ?

Il est évident que le docteur Held est quelques mitochondries en deçà de la dotation cellulaire standard, comme dit le proverbe. Sa focalisation indéfectible sur la physiologie et la structure cérébrale protoss, et ce même dans le cadre de discussions informelles au réfectoire, révèle une obsession aux relents de phobie. Held est terrifié par les Protoss, et je soupçonne que cette terreur est liée à des expériences antérieures dans les recherches secrètes du Dominion, avant même la conception du projet Rochenoire. Son assistante, une jeune femme aux yeux glacés et inexpressifs, m’a prévenu de ne jamais parler du "projet Gestalt". Selon elle, la seule mention de ce nom pouvait déclencher chez son supérieur une violente crise de tremblements et de paranoïa. Le Dr Martine n’a pas pu me donner davantage de détails, mais je plains cette pauvre fille. Travailler quotidiennement avec le Dr Held doit être une épreuve : elle semble s’agripper un peu plus fort à sa canne à chaque fois que je la croise.

En ce qui concerne Ramsey, c’est une tout autre histoire. Ses intuitions sur les Protoss sont effrayantes de précision, et on croirait parfois qu’il les exprime presque comme par accident. Je ne suis pas certain de ce dont il a été témoin, ou de ce qu’on lui a fait, mais cela a affecté de façon indélébile sa santé mentale. Son comportement est difficile à suivre : de l’archéologue intelligent et sympathique, il devient en un instant une sorte de mystique distant et mystérieux, pénétré d’une empathie insondable pour les pauvres âmes étrangères "ignoblement détenues" dans le labo du Dr Held. Ces périodes de folie deviennent de plus en plus flagrantes. Il en est même arrivé à menacer physiquement le Dr Held, au point que notre chef ingénieur et moi-même avons dû le retenir. Branamoor, d’ordinaire si prompt à imposer ses contraintes disciplinaires de Grand Manitou, n’a pour le moment nullement réagi aux esclandres de Ramsey. C’est comme si notre xénophile timbré disposait ici d’une protection particulière. Jake serait-il un proche de Mengsk ? Il n’est pourtant pas très tendre dans ses propos pour notre bon empereur, mais au point où nous en sommes ça ne me surprendrait guère.

Donc oui, l’atmosphère est poisseuse. Le Dr Held et Ramsey constamment prêts à en découdre, pendant que nous autres essayons d’occulter le fait que des choses abominables sont peut-être en train de se produire à l’autre bout du couloir. Comment disait le Dr Rothfuss ? Ce vieil astrophysicien barbu est un être discret, mais capable de faire taire toute la salle quand il prend la parole. « Des passions contradictoires dans un espace confiné, c’est un appel au crime. »

Ça a fait taire même Ramsey.

Je vais voir si je peux prendre Rothfuss à part et en apprendre un peu plus sur lui la prochaine fois qu’il sortira son fauteuil roulant des confins rougeoyants de son laboratoire. C’est comme si chaque membre de notre équipe avait une histoire intéressante à raconter. Après avoir mis Ramsey en sûreté dans sa chambre, j’ai passé l’après-midi à discuter avec celui qui venait de m’aider à empêcher l’archéologue de se transformer en meurtrier : Rackham "Rouge" Quinton. C’est un ingénieur jusqu’au bout des ongles, qui voit tout en chiffres et en procédures. Mais c’est un homme brillant, une encyclopédie de chimie et de physique appliquées à la transformation des atomes en armes. Lui aussi supporte difficilement toute cette ambiance poisseuse. À vrai dire, c’est peut-être de lui que je tiens cette appellation.

Au moins j’ai mes plages de labo avec Talise. Nous nous sommes attachés l’un à l’autre, et nous avons même entrepris de nous retrouver discrètement dans les quartiers de l’un ou de l’autre pour… des analyses post-expérimentales. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un qui partage ma fascination pour ces incroyables et mystérieuses formes de vie extraterrestres. C’est aussi agréable de partager nos espoirs et nos craintes d’avoir des filles aux carrières si similaires. Aucun de nous n’a eu de nouvelles de nos progénitures depuis assez longtemps, et je ne peux que partir du principe que le Dominion nous tient à l’écart dans l’intérêt de leur protection.

J’écris ceci en la regardant dormir sur ma couchette, et en me disant que cette période d’inconfort, ce sentiment de poisseux n’est peut-être que temporaire. Comme le disait Oscar Wilde, "moins on parle de ses plaies, mieux on se porte".

T.A.
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